mercredi 26 octobre 2011

Treffpunkt (2/2) - Occupy


Seattle -- comme dans plusieurs villes d'Amérique, entre cent et deux cent représentants des "99%" ont un Treffpunkt sur une place du centre-ville. Après avoir parlé avec Robbie, de l'atelier "Tactical" qui travaille à éviter les débordements, on nous informe que ce sont d'abord les tentes qui ont été interdites. Puis les parapluies. Les occupants en sont réduits à dormir sous des bâches posées à même le sol. Selon mon interlocuteur, la police municipale refuse d'employer la force pour les déloger, mais fait des "annonces" toute la nuit pour leur rendre la vie dure. Il n'a pas dormi depuis 48 heures, et ça se voit.

Qu'est-ce qu'ils dénoncent? De OccupySeattle à OccupyVancouver, on peut voir sous le feu du mouvement les bonus boursiers, les guerres, les "corporations", le prix du système de santé, la banque centrale, les inégalités, le racisme, les atteintes à l'environnement, Mahmoud Ahmadinejad, le système fiscal, les laboratoires pharmaceutiques, les sectes, les lobbys, le prix des manuels d'allemand qui minent les budgets étudiants. En ce point de rendez-vous où se côtoyaient adolescents avachis et quadragénaires communistes, j'aurais du laisser une pancarte, pour protester contre ce système honteux de textbooks diablement efficaces dont la vente corporatiste engraisse cette classe oisive d'auteurs poussifs que sont les professeurs d'université.

Que veulent-ils? Robbie m'assure qu'on saura "bientôt". Si elle a encore du chemin à faire pour s'organiser et acquérir des droits qui nous semblent inaliénables, une aile de la gauche américaine prend forme, consciente qu'elle est en train de se faire berner et qu'elle doit réagir. Elle ne sait pas encore trop quoi dire, ni comment.

Ceux qui campent espèrent pour certains la révolution ou supprimer la Fed (Banque centrale américaine). D'autres veulent juste des études moins chères. Le mouvement n'a volontairement, et par définition, pas de meneur, donc pas de demandes qui soient à la fois précises, et consensuelles. Pour certains passants, cette absence de direction le condamne à tituber quelques instants et crever, tel un poulet décapité dans la cour d'une grange. Espérons qu'il puisse être un cavalier sans tête qui parviendra à marquer les esprits assez longtemps avant de devenir légende.

dimanche 16 octobre 2011

Treffpunkt (1/2) - Tofino













Treffpunkt, c'est aussi le nom de mon manuel d'allemand. Il peut coûter 100, 120, 180 ou 193$. Dans l'ordre: - pendant les soldes d'hiver, par Amazon, sur le site du BookStore de UBC, et en vrai au Bookstore de UBC. Obligatoirement neuf. Pourquoi? 10% de ma note finale de "Intermediate German I" repose sur des exercices "online" nominatifs incessibles, accessibles grâce à ce grimoire.

Pour le prix de certaines entrées à ce "meeting place" bi-hebdomadaire en salle B206, le Surf Club peut vous proposer d'aller passer trois jours à la plage de Tofino, spot préféré de ces amateurs de planche pendant les 6 semaines qui séparent l'été de l'hiver. Vous pourriez supposer que donner froid dans le dos est un point commun supplémentaire à ces deux rendez-vous, mais vous vous fourvoieriez.

Je me trouvais surpris que le premier, par son coût élevé, incite vicieusement à l'assiduité et, scandale, au progrès. Concernant le cours, un seul mot: ORAL. De tout, jusqu'à la grosse implication des élèves qui baragouinent trois mots d'allemand même pour vous demander un taille-crayon. Je trempe actuellement dans l'autosatisfaction d'avoir progressé dans l'art d'entretenir une conversation de plus de 4 phrases. Mais si vous espériez faire des rencontres à ce rencard europhile, détrompez-vous, point de rendez-vous, même platonique, ne se glâne en ces sessions.


Préférez-leur les sables de l'île de Vancouver, la plage de Tofino, si le vent n'est pas trop violent vous pourriez vous élever un instant sur une planche à voile sans voile qui dévale une vague. C'est assez enivrant.  Et vous n'avez pas froid dans le dos en repensant à ce Treffpunkt non plus: les combinaisons intégrales combinées au temps clément nous ont permis de survivre, et de ne changer qu'une fois nos chaussettes. Vous devriez en faire autant. Avec de la chance, vous pourriez connaître une ambiance nocturne se résumant aux objets tombés dans le feu ce soir-là: chaise de camping, marshmallows, hot-dogs, cannette de bière, t-shirt, jean, caleçon.

N'oublions pas que tout cela n'est que supposition, et que l'auteur ne suppute qu'en utilisant des éventualités transitoires et autres suppositoires non-obligatoires. A priori Seattle est une ville pluvieuse sans histoires. Et bien non. C'est un autre rendez-vous pour ceux qui changent rarement de chaussettes. Mais ceci est une autre histoire.

lundi 26 septembre 2011

Greenpeace'n'Love

"Chaque année nous renouvellons plus de 90% de nos cellules. Mesdemoiselles, songez à ce cours lorsque vous direz à votre conjoint qu'il n'est plus la personne que vous avez épousé!" (Rires)
 (...) 
Les villes fonctionnent de manière analogue, renouvelant sans cesse la matière dont elle sont faites. Elles consomment puis rejettent. Un peu comme vous digérez votre petit déjeuner en attendant la fin de ce cours pour..." (Silence gêné)

Ou un échantillon de ce que nous a raconté un biophysicien du département d'urbanisme, invité dans mon cours habituellement dispensé par deux géographes. Au moins trois blagues la minute, pas toutes droles, mais plus captivant que l'habituelle matrone frigide spécialiste du saumon d'Alaska qui nous sert du "Environmental Concepts & Resource Management" deux fois par semaine. 

Et la magie de tout ça, c'est que même cette fille qui vous dégage comme un air de Marine tente de faire des blagues. On apprécie l'effort, mais lorsque les élèves se tordent de rire dans une franche rigolade d'un air trop honnête pour que ce soit du fayotage, on regrette presque les moments de solitude que s'infligent parfois les profs français trop audacieux.

Car le calembour est une spécialité locale. Le contact les mecs. Vos étudiants, faut les tenir par le coeur. On s'aime ici. Les hippies nudistes de la plage t'aiment. Et tu aimes ton chauffeur de bus, à qui tu dis merci en descendant. Tu aimes l'humanité, pour laquelle tu utiliseras les compacteurs solaires de déchets mis à ta disposition. La fille du café m'a fait grace des 67 cents qui me manquaient pour mon sandwich à la dinde et le videur m'a demandé comment s'était passée ma journée.

Insidieuse, inodore, furtive, cette ambiance peace & love qui s'infecte partout, c'est la contrepartie des règles. Qui pullulent. Ne pas traverser sur les clous coute plus de 100 dollars. Mais si vous le faites, les voitures ralentiront parfois paisiblement, et vous ferons signe de passer. Vous devez présenter votre passe au chauffeur du bus, mais vous pouvez rentrer par la porte arrière. Vous êtes conviés à vous dodeliner la nouille à l'air jusqu'ici. 1 mètre plus loin vous êtes un "Sexual Assaulter" en tongs.

Peut-être est-ce ce ragoût d'intransigeance morale assaisonné à la sauce libertaire puis mijoté au doux feu des armes nucléaires qui mis au monde Greenpeace en 1971, dont les premiers locaux se trouvent à moins de 10 bornes d'ici. Maintenant "boboïsé" (pardon), le quartier de Kitsilano ne ressemble plus vraiment à un repaire d'activistes. Tout comme Greenpeace et ses 200 millions d'euros de revenu ne se résument plus vraiment à quelques allumés barbus sur un bateau arc-en-ciel.

L'évolution vers la complexité de l'organisation et de la ville qui l'a enfanté ressemble au niveau d'empilement multi-disciplinaire du cours de management durable des ressources biophisycogéographiques urbaines que j'ai suivi. C'est beau, drôle parfois, c'est propre et bien emballé, bien expliqué avec des métaphores subtiles. Mais encore étrangement déconnecté de la question de savoir comment sortir de la merditude climatique tout en sortant la plus grande partie de l'humanité de la merditude tout court.



mercredi 14 septembre 2011

S.H.H.S. KeyCard ou ze Next Level

Hier soir j'ai oublié dans ma chambre fermée la carte magnétique qui me sert de clé. 

Bientôt minuit, et c'est déjà la fille qui tiendra la réception de mon blockhaus de 17 étages jusqu'à 8h du mat' qui me file ma KeyCard de remplacement – elle m'informe que l'autre se démagnétisera automatiquement d'ici 24h. High-tech.

Bien pratique tout ça. Si l'ascenseur que je prends pour remonter au 12ème avait eu un miroir, j'aurais surement entamé un dialogue imaginaire avec mon reflet. Je me voyais pas passer la nuit dehors en maillot de bain. Quoi? Oui, parce que j'étais allé me faire un petit jacuzzi plus tôt dans la soirée voyez-vous. Il suffit de biper ma UBCCard et oui, c'est gratuit. Tout à fait, ça c'est la lessive que j'ai faite avec ma SmartCard à la laverie du sous-sol. Pratique, oui, c'est vrai.

Schizophrénies et porte-cartes remplis mis à part, UBC c'est pratique quand même. Le « SHHS » (Student Housing and Hospitality Services) , avec un H pour « hospitalité » s'il-vous-plait, reflète bien la perfection presque énervante des rouages qui font tourner UBC. Le côté pratique, « logement», mais aussi, insistons de nouveau histoire d'être lourd, « l'hospitalité ». Une dimension assez en accord avec le « Toujours plus haut, toujours plus loin » ambiant. Next level. Un truc qui déconne dans ton appart'? Un type vient dans ton sommeil pour le réparer. C'est pas qu'une fois par an, et il existe vraiment, j'te jure. 


Tes pelouses sont vertes, et partout autour de toi. Les petites nouvelles se font même enduire de compost. Ça induit des effluves traîtresses qui se baladent sur le campus, mais passons: très honorable, jusque-là rien d'anormal. Mais le level d'après, c'est que ce machin vient de chez toi, de la petite caissette en plastique qu'on t'as confié pour disposer de tes peaux de banane ou de tes malaises gastriques.

Le sheitan est dans les détails. Mercredi soir c'est « Pit Night », où selon les mythes 80% du campus passerait au « Pit ». Un mot tellement génial pour désigner le bar le moins cher du campus qu'il serait criminel de ne lui donner qu'une seule traduction (selon Google: trou, cratère, fossé, fosse, dépression, puits...). Vu que ces esquimaux dinent à 5h, ça commence vers 8h. Du coup quand vous arrivez à 22h30 comme toute personne européenne fraichement dépucelée, c'est plein.

Heureusement, on te laisse pas poireauter.  Hos-pi-ta-li-ty. A l'inverse de ce qui peut se passer sur les trottoirs des Grands Boulevards, on veut pas te voir casser ta pipe tel Winehouse, achevé par le delirium tremens.  Un type du bureau des élèves t'emmène alors to the next level une fois de plus. Littéralement, deux niveaux plus haut,  un espace aménagé avec un biergarten improvisé, dans lequel on attend dans la joie et la bonne humeur que son numéro soit appelé au micro. Et l'absence de mezzanine défectueuse t'épargne de finir comme Mehdi.

Tout cela est bien ficelé. Ça ne se limite pas qu'au campus. Le « Metro » jauni posé sur la banquette d'en face relate que la ville de Vancouver prend des mesures, à chaque fois bien précises, que ce soit pour des buts grandioses – atteindre le rang de ville la plus écolo du monde d'ici à 2020 en développant le tri et le ramassage des pelures de patates, ou en réaction à des évènements précis.

A l'image d'un objet qui va peut-être se généraliser à Vancouver suite au choc généré par les émeutes de la Stanley Cup. Il faut dire que les fans sont passés d'un état d'ivresse comparable à celui d'un surdoué de 14 ans le soir de la fin du bac au Champs de Mars, vers un état de dégout comparable à celui de ce même surdoué à qui on annonce qu'il va aux rattrapages. On estime donc qu'il aurait fallu ralentir l'afflux de Canadiens titubants en centre-ville en s'aidant non pas de CRS supplémentaires... mais en installant des tourniquets. Quel obstacle. Vous l'aurez compris, Vancouver n'est pas vraiment une ville à « débordements » fréquents.


Accessoirement, c'est aussi un obstacle qui compte les passagers. Et puis maintenant le débat est ouvert sur les titres de transports à puces nominatives et intégralement traçables, potentiellement désactivables à distance. Pourquoi ne pas passer au next level, tant qu'on y est.