Seattle -- comme dans plusieurs villes d'Amérique, entre cent et deux cent représentants des "99%" ont un Treffpunkt sur une place du centre-ville. Après avoir parlé avec Robbie, de l'atelier "Tactical" qui travaille à éviter les débordements, on nous informe que ce sont d'abord les tentes qui ont été interdites. Puis les parapluies. Les occupants en sont réduits à dormir sous des bâches posées à même le sol. Selon mon interlocuteur, la police municipale refuse d'employer la force pour les déloger, mais fait des "annonces" toute la nuit pour leur rendre la vie dure. Il n'a pas dormi depuis 48 heures, et ça se voit.
Qu'est-ce qu'ils dénoncent? De OccupySeattle à OccupyVancouver, on peut voir sous le feu du mouvement les bonus boursiers, les guerres, les "corporations", le prix du système de santé, la banque centrale, les inégalités, le racisme, les atteintes à l'environnement, Mahmoud Ahmadinejad, le système fiscal, les laboratoires pharmaceutiques, les sectes, les lobbys, le prix des manuels d'allemand qui minent les budgets étudiants. En ce point de rendez-vous où se côtoyaient adolescents avachis et quadragénaires communistes, j'aurais du laisser une pancarte, pour protester contre ce système honteux de textbooks diablement efficaces dont la vente corporatiste engraisse cette classe oisive d'auteurs poussifs que sont les professeurs d'université.
Que veulent-ils? Robbie m'assure qu'on saura "bientôt". Si elle a encore du chemin à faire pour s'organiser et acquérir des droits qui nous semblent inaliénables, une aile de la gauche américaine prend forme, consciente qu'elle est en train de se faire berner et qu'elle doit réagir. Elle ne sait pas encore trop quoi dire, ni comment.
Ceux qui campent espèrent pour certains la révolution ou supprimer la Fed (Banque centrale américaine). D'autres veulent juste des études moins chères. Le mouvement n'a volontairement, et par définition, pas de meneur, donc pas de demandes qui soient à la fois précises, et consensuelles. Pour certains passants, cette absence de direction le condamne à tituber quelques instants et crever, tel un poulet décapité dans la cour d'une grange. Espérons qu'il puisse être un cavalier sans tête qui parviendra à marquer les esprits assez longtemps avant de devenir légende.