lundi 26 septembre 2011

Greenpeace'n'Love

"Chaque année nous renouvellons plus de 90% de nos cellules. Mesdemoiselles, songez à ce cours lorsque vous direz à votre conjoint qu'il n'est plus la personne que vous avez épousé!" (Rires)
 (...) 
Les villes fonctionnent de manière analogue, renouvelant sans cesse la matière dont elle sont faites. Elles consomment puis rejettent. Un peu comme vous digérez votre petit déjeuner en attendant la fin de ce cours pour..." (Silence gêné)

Ou un échantillon de ce que nous a raconté un biophysicien du département d'urbanisme, invité dans mon cours habituellement dispensé par deux géographes. Au moins trois blagues la minute, pas toutes droles, mais plus captivant que l'habituelle matrone frigide spécialiste du saumon d'Alaska qui nous sert du "Environmental Concepts & Resource Management" deux fois par semaine. 

Et la magie de tout ça, c'est que même cette fille qui vous dégage comme un air de Marine tente de faire des blagues. On apprécie l'effort, mais lorsque les élèves se tordent de rire dans une franche rigolade d'un air trop honnête pour que ce soit du fayotage, on regrette presque les moments de solitude que s'infligent parfois les profs français trop audacieux.

Car le calembour est une spécialité locale. Le contact les mecs. Vos étudiants, faut les tenir par le coeur. On s'aime ici. Les hippies nudistes de la plage t'aiment. Et tu aimes ton chauffeur de bus, à qui tu dis merci en descendant. Tu aimes l'humanité, pour laquelle tu utiliseras les compacteurs solaires de déchets mis à ta disposition. La fille du café m'a fait grace des 67 cents qui me manquaient pour mon sandwich à la dinde et le videur m'a demandé comment s'était passée ma journée.

Insidieuse, inodore, furtive, cette ambiance peace & love qui s'infecte partout, c'est la contrepartie des règles. Qui pullulent. Ne pas traverser sur les clous coute plus de 100 dollars. Mais si vous le faites, les voitures ralentiront parfois paisiblement, et vous ferons signe de passer. Vous devez présenter votre passe au chauffeur du bus, mais vous pouvez rentrer par la porte arrière. Vous êtes conviés à vous dodeliner la nouille à l'air jusqu'ici. 1 mètre plus loin vous êtes un "Sexual Assaulter" en tongs.

Peut-être est-ce ce ragoût d'intransigeance morale assaisonné à la sauce libertaire puis mijoté au doux feu des armes nucléaires qui mis au monde Greenpeace en 1971, dont les premiers locaux se trouvent à moins de 10 bornes d'ici. Maintenant "boboïsé" (pardon), le quartier de Kitsilano ne ressemble plus vraiment à un repaire d'activistes. Tout comme Greenpeace et ses 200 millions d'euros de revenu ne se résument plus vraiment à quelques allumés barbus sur un bateau arc-en-ciel.

L'évolution vers la complexité de l'organisation et de la ville qui l'a enfanté ressemble au niveau d'empilement multi-disciplinaire du cours de management durable des ressources biophisycogéographiques urbaines que j'ai suivi. C'est beau, drôle parfois, c'est propre et bien emballé, bien expliqué avec des métaphores subtiles. Mais encore étrangement déconnecté de la question de savoir comment sortir de la merditude climatique tout en sortant la plus grande partie de l'humanité de la merditude tout court.



mercredi 14 septembre 2011

S.H.H.S. KeyCard ou ze Next Level

Hier soir j'ai oublié dans ma chambre fermée la carte magnétique qui me sert de clé. 

Bientôt minuit, et c'est déjà la fille qui tiendra la réception de mon blockhaus de 17 étages jusqu'à 8h du mat' qui me file ma KeyCard de remplacement – elle m'informe que l'autre se démagnétisera automatiquement d'ici 24h. High-tech.

Bien pratique tout ça. Si l'ascenseur que je prends pour remonter au 12ème avait eu un miroir, j'aurais surement entamé un dialogue imaginaire avec mon reflet. Je me voyais pas passer la nuit dehors en maillot de bain. Quoi? Oui, parce que j'étais allé me faire un petit jacuzzi plus tôt dans la soirée voyez-vous. Il suffit de biper ma UBCCard et oui, c'est gratuit. Tout à fait, ça c'est la lessive que j'ai faite avec ma SmartCard à la laverie du sous-sol. Pratique, oui, c'est vrai.

Schizophrénies et porte-cartes remplis mis à part, UBC c'est pratique quand même. Le « SHHS » (Student Housing and Hospitality Services) , avec un H pour « hospitalité » s'il-vous-plait, reflète bien la perfection presque énervante des rouages qui font tourner UBC. Le côté pratique, « logement», mais aussi, insistons de nouveau histoire d'être lourd, « l'hospitalité ». Une dimension assez en accord avec le « Toujours plus haut, toujours plus loin » ambiant. Next level. Un truc qui déconne dans ton appart'? Un type vient dans ton sommeil pour le réparer. C'est pas qu'une fois par an, et il existe vraiment, j'te jure. 


Tes pelouses sont vertes, et partout autour de toi. Les petites nouvelles se font même enduire de compost. Ça induit des effluves traîtresses qui se baladent sur le campus, mais passons: très honorable, jusque-là rien d'anormal. Mais le level d'après, c'est que ce machin vient de chez toi, de la petite caissette en plastique qu'on t'as confié pour disposer de tes peaux de banane ou de tes malaises gastriques.

Le sheitan est dans les détails. Mercredi soir c'est « Pit Night », où selon les mythes 80% du campus passerait au « Pit ». Un mot tellement génial pour désigner le bar le moins cher du campus qu'il serait criminel de ne lui donner qu'une seule traduction (selon Google: trou, cratère, fossé, fosse, dépression, puits...). Vu que ces esquimaux dinent à 5h, ça commence vers 8h. Du coup quand vous arrivez à 22h30 comme toute personne européenne fraichement dépucelée, c'est plein.

Heureusement, on te laisse pas poireauter.  Hos-pi-ta-li-ty. A l'inverse de ce qui peut se passer sur les trottoirs des Grands Boulevards, on veut pas te voir casser ta pipe tel Winehouse, achevé par le delirium tremens.  Un type du bureau des élèves t'emmène alors to the next level une fois de plus. Littéralement, deux niveaux plus haut,  un espace aménagé avec un biergarten improvisé, dans lequel on attend dans la joie et la bonne humeur que son numéro soit appelé au micro. Et l'absence de mezzanine défectueuse t'épargne de finir comme Mehdi.

Tout cela est bien ficelé. Ça ne se limite pas qu'au campus. Le « Metro » jauni posé sur la banquette d'en face relate que la ville de Vancouver prend des mesures, à chaque fois bien précises, que ce soit pour des buts grandioses – atteindre le rang de ville la plus écolo du monde d'ici à 2020 en développant le tri et le ramassage des pelures de patates, ou en réaction à des évènements précis.

A l'image d'un objet qui va peut-être se généraliser à Vancouver suite au choc généré par les émeutes de la Stanley Cup. Il faut dire que les fans sont passés d'un état d'ivresse comparable à celui d'un surdoué de 14 ans le soir de la fin du bac au Champs de Mars, vers un état de dégout comparable à celui de ce même surdoué à qui on annonce qu'il va aux rattrapages. On estime donc qu'il aurait fallu ralentir l'afflux de Canadiens titubants en centre-ville en s'aidant non pas de CRS supplémentaires... mais en installant des tourniquets. Quel obstacle. Vous l'aurez compris, Vancouver n'est pas vraiment une ville à « débordements » fréquents.


Accessoirement, c'est aussi un obstacle qui compte les passagers. Et puis maintenant le débat est ouvert sur les titres de transports à puces nominatives et intégralement traçables, potentiellement désactivables à distance. Pourquoi ne pas passer au next level, tant qu'on y est.






dimanche 11 septembre 2011

UBC - Impliquez-vous !

Ma fac est une marque.

A côté des conférences workshop informatives sans grande saveur, ce qui marque dans la semaine d'Orientation, c'est la conférence inaugurale. En grande pompe, elle consistait surtout en une suite de speakers tenant des propos SAV enflammés, en partie destinés à rassurer les étudiants internationaux "freshmen" sur le bien fondé de la dépense en frais de scolarité. Entre 15 et 20 mille euros l'année pour l'anecdote. Inutile de dire c'était inspiré, même beau parfois, mais passablement ennuyant. La plupart calibraient leur discours pour ceux obtiendraient leur diplôme à UBC. D'où l'étrange impression d'être un touriste qui envahit l'étudiant échange qui dépend de son université d'origine, et qui , à l'inverse de la majorité de la salle, ne passera que 8 mois en terre étrangère.

Mais le déroulé de la séance est assez instructif, sur la forme, qui révèle tout le travail de marketing fait sur la "marque" University of British Columbia. En introduction de la conférence phare de la semaines, visionnage d'une vidéo très corporate, qui donne le ton. L'informatique marche partout ici, soit dit en passant. 


Vous remarquerez le slogan, "A place of mind", qui joue habilement sur l'ambiguïté du mot "mind", l'esprit, l'intellect, mais aussi utilisé couramment dans un sens philanthropique, "mind", se soucier (implicitement, des autres, et de créer un monde meilleur). Il est placardé sur chaque lampadaire du campus.

Ce furent d'ailleurs les deux dimensions principales des conférences - "vous êtes brillants, et ici il faut vous impliquer, trouver votre passion". La doctrine de UBC en ce qui concerne la "socialization" nous fut plaqué en pleine face: ne vous inquiétez pas, même réjouissez-vous, ici nous avons les institutions pour vous créer un réseau et vous faire réussir. Rejoignez 12 clubs de sport et 34 associations, travaillez dur et tout ira bien. Et bien entendu, diversité diversité... "Chacun peut apporter sa richesse, d'où qu'il vienne". Et un speech obligatoire d'un représentant de la tribu de "Native Canadians" dont les terres furent volées pour construire le campus. Plus politiquement correct tu meurs.


Pour nous démontrer les succès auxquels les étudiants parviennent  la conférence inaugurale était savamment rythmée par des intermèdes - la fanfare a capella, ou un groupe de pop utilisant des instruments traditionnels chinois... quoi qu'il en soit l'auditoire sortait légèrement de sa léthargie.



Par dessus, toute une conférence de 2 heures intitulée "Comment se faire des connexions". J'ai séché. En bref, beaucoup d'éloquence, de grandiloquence et de charme qu'on se laisse rêver, presque au point qu'on en vient à se demander si on ne va pas être désenchanté tôt ou tard. "The rain is coming", comme on redoute l'hiver dans le reste du Canada. [Nota: Vancouver ne déçoit pas pour l'instant]. Pour faire justice aux organisateurs, il est vrai que les payeurs (= parents) se trouvaient pour certains dans la salle. 

Sur un campus dont la population journalière avoisine les 70 mille personnes, la proximité ne suffit pas. Les réseaux jouent surtout sur des cercles - le club de débat, les équipes de sport, les fraternités... et les étudiants en échange, qui à défaut de consommer du canadien en masse semblent pour l'instant préférer se mélanger avec modération.

UBC a surement un club pour tout ce qu'un étudiant peu rêver de faire. Sports depuis le parachute à la plongée en passant par les associations caritatives et à travers le club qui t'apprend à faire ta bière à la maison. Si tu descends 20 mètres sur ta gauche après la poterie (c'est pas une métaphore, la scène est à la gigantesque foire aux assos) tu tombes sur l'équipe de Quidditch moldu, sport tellement étrange et fantasmé que je me suis senti obligé de m'inscrire à la newsletter.

Ou pour ce qu'un étudiant est déjà : clubs pour chacune des licences, des clubs ethniques assez présents, pas comme Le Club Français dont je ne fais pas partie. Mot d'ordre: "Get Involved", impliquez-vous. Mais à première vue peu de "Indignez-vous" ou de politisation partisane ou syndicale très présente - ce n'est pas ici qu'il y aura des blocus au printemps. A premier coup d'oeil en tout cas. A bien y regarder, les élèves s'engagent, s'indignent - mais sur le modèle associatif du club autour d'une idée ou cause bien précise, comme par exemple la Fondation Canadienne du Foie.

Heureusement, il n'existe pas que ces moyens pour entretenir un petit cercle ici. Ne croyez pas que je vis enterré à écrire ce machin au lieu de me faire des amis géniaux au Club pour la Solidarité avec les Cancéreux de la Prostate. Les activités socialisatrices ne manquent pas - plage, tourisme, bar du campus ou boîte en ville, squats chez les internationaux ou avec les "flatmates" canadiens, ou colocataires de résidence. Les miens sont taciturnes ou absentéistes pour l'instant, mais chez les autres on s'amuse très correctement. Ou alors tu vas à la salle de sport, très populaire, un peu "Tu m'mates, j'te mate", mais surtout je ai pas encore assez de caillots de sucre dans le sang pour trouver la motivation de passer la vitrine.

Ou trouver sa place au sein d'une autre communauté, sur un passage obligé du campus, la seule plage où les Vancouverites peuvent à la fois aérer leurs parties et s'en griller une.

Descendez 300 marches à travers la forêt et vous arrivez à Wreck Beach, célèbre pour ses hippies, dont certains viennent parfois vous faire de la "Shy Therapy", ou Thérapie de Timidité. En général, des effluves d'odeurs ma foi assez peu désagréables vous chatouillent le nez, et un couple de quadragénaires se plante devant vous, la taille à hauteur de vos yeux, pour gentiment se faire prosélytes du nudisme. "Enlève ton maillot, les femmes adorent ça !" Mouais. Prenant le soin de bien les regarder droit dans les yeux, je leur ai répondu que le slip tombera surement, mais à la fin de l'année - quand je serai un peu plus "Made in Vancouver".